Elle est si douce à mon cœur poème de ma vie
elle me dit que les hommes sont comme des vagues
qui viennent se briser sur la grève
en flots tumultueux
ils gravent sur le sable les signes éphémères de leur destin
ce roc sans nom de l’irrémédiable
[...]
Avec toi Evaristo le regard habite un songe
dans tes toiles griffées d’or de de sang
poèmes profonds de nuit patiente
il y a bien des fois de la mélancolie
et l’espoir d’un monde meilleur
tu ne te doutais pas que nous aimions tous deux le monde des vivants
que celui qui peint ou écrit sur la feuille des saisons
abandonne le chagrin et tisse la toile des rêves vrais
peins-tu encore avec la même émotion
de l’au-delà de ton ciel bleu d’outremer
pris au vertige de ses soleils tournants
quand la marée montante du matin
déferle sur les oliviers de ta plaine delphique
cette terre exaltée du silence où tu travaillas une vie entière
à donner corps couleur et forme aux visions mystérieuses
d’un dieu caché violent et sombre qui te faisait signe
depuis le cœur brûlant de la lumière
[...]
Ce tintement mystérieux dans la brume du matin
qui retentit comme un signal des départs
vers d’autres cieux d’autres aurores
bruit ferrugineux intarissable et glacé
de tout ce qui nous appelle
d’un passé dévoré par la rouille des saisons
j’ai tant désiré croire à l’exaltation proustienne
de ce grelot bondissant comme un rêve heureux
à jamais vivant et vibrant en nous
soif d’éternité retrouvée mer et soleil des sages
mais rien n’a survécu dans ma mémoire
pas même le geste d’arracher les ferrures disparues
à la porte douloureuse des retours
***
Anne BROUAN, Rapaces de l’ombre, la rumeur libre, 2020, p.38,60-61